Les causes de l’instabilité des prix agricoles
La volatilité des prix des matières premières agricoles atteint des niveaux sans précédents depuis le début des années 2020. Les prix des produits varient de plus en plus brusquement et fortement, ce qui suscite l’inquiétude de toute la filière, dont les acteurs de l’amont (agriculteurs, éleveurs, coopératives) comme de l’aval (industriels, distributeurs) voient leur performance et leur pérennité mises à mal.

Deux tendances principales se dégagent.
D’une part, les prix des produits traditionnellement volatils fluctuent de plus en plus. C’est par exemple le cas des grandes cultures comme le blé, dont le prix peut désormais augmenter en l’espace de quelques semaines. En 2024, des épisodes de sécheresse prolongée suivis de pluies torrentielles en Amérique du Nord et en Europe ont perturbé le développement des cultures, rendant les prévisions incertaines. Ces perturbations ont généré une hausse drastique du prix du blé, qui a atteint 250 €/ tonne mi-mai, soit une hausse de plus de 40 € en un mois1.
D’autres produits cotés en bourse, tels que le soja et le maïs, enregistrent également des oscillations imprévisibles. Paul Lefevre, producteur de céréales en Champagne, en explique les conséquences : « Avec de telles fluctuations, il est de plus en plus difficile de stabiliser nos revenus. Dans le monde des céréales, on est globalement habitués à la fluctuation des prix. Mais les dernières évolutions sont remarquables par leur rapidité et leur amplitude ! C’est de plus en plus problématique, notamment pour les agriculteurs qui viennent de s’installer”.
D’autre part, la volatilité est devenue une réalité pour nombre de matières premières agricoles qui en étaient plutôt préservées par le passé – c’est par exemple le cas des fruits et des légumes. Les prix du melon européen ont ainsi chuté en 2024 à la suite d’un afflux inattendu de production égyptienne. Par exemple, en juin 2024, les prix du melon en France ont été inférieurs de 7 % à ceux de 2023, restant malgré tout supérieurs de 8 % à la moyenne 2019-20232. De la même manière, la tomate a vu son prix chuter de 31 % entre juin 2023 et juin 20243 en raison d’une production abondante, combinée à une consommation limitée en raison d’un temps mitigé qui n’a pas incité à la consommation habituelle de tomates. Ces chutes de prix ont exercé une pression sur les producteurs européens, affectant leur rentabilité et leur compétitivité sur le marché.
L’explosion de la volatilité s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs.
Depuis cinq ans, plusieurs crises se succèdent et perturbent les niveaux de production et d’exportation : peste porcine africaine en 2018-2019, COVID-19 en 2020-2021, conflits en Europe et au Proche Orient… Le conflit entre l’Ukraine et la Russie a par exemple fait grimper le prix du blé de 45% en quelques mois, car ces deux pays représentent à eux seuls un tiers des exportations mondiale de céréales.
A ces perturbations conjoncturelles s’ajoute la tendance de fond du dérèglement climatique, qui renforce l’instabilité des prix. A titre d’exemple, les inondations de Valence en octobre 2024 ont touché 30 000 hectares de terres cultivables, entraînant une baisse significative des récoltes4. Un exemple frappant est celui des fraises qui, récoltées de plus en plus tardivement du fait de conditions météorologiques variables, entrent désormais en concurrence avec les fruits à noyaux, ce qui provoque une baisse de leurs prix.

Cette instabilité est problématique pour l’ensemble de la filière. Elle compromet deux transitions majeures, en cours dans le monde agricole :
Transition écologique : l’impact environnement de l’agriculture est conséquent, et toute la filière est mobilisée pour opérer une transition vers des modes de production plus respectueux de l’environnement et moins énergivores. Celle-ci nécessite des investissements conséquents, estimés à 50 milliards d’euros pour l’UE et 5 milliards pour la France6. Or, il est particulièrement difficile pour le monde agricole de mener de tels investissements alors que les revenus sont de plus en plus imprévisibles. Ces enjeux sont résumés par le témoignage de Stéphane Caron, exploitant breton, qui résume les difficultés rencontrées : « Adapter nos équipements pour faire face aux nouvelles contraintes climatiques représente un défi financier énorme. Les financements adaptés sont indispensables. ».
Transition démographique : Plus de 55 % des exploitants agricoles ont plus de 55 ans, tandis que moins de 1 % ont moins de 25 ans7. D’ici 2030, un cinquième des exploitations devra changer de propriétaire, soulevant des questions cruciales sur le financement et l’avenir de la filière. Il est clair que les jeunes générations ne souhaiteront pas s’installer et reprendre les exploitations sans garantie de revenus.
Face à ces défis, la Commission européenne rappelle que « la faiblesse et la volatilité des marges freinent les financements bancaires indispensables au renouvellement du secteur ». L’impact du réchauffement climatique étant de plus en plus marqué, il y a fort à penser que le renforcement de la volatilité des prix est devenu une tendance de fond sur laquelle il est nécessaire de compter pour préparer l’avenir. Les exploitants agricoles, tout comme leurs partenaires industriels ou de la grande distribution, doivent renforcer leurs méthodes de gestion des risques de prix pour faire face à cette nouvelle réalité, et assurer leur pérennité.
Sources :
1 Le Monde, « La météo pluvieuse pénalise les rendements céréaliers » : La météo pluvieuse pénalise les rendements céréaliers
2 La Tribune, « Le prix des fruits et légumes baisse en 2024 » : www.latribune.fr
3 La Tribune, « Le prix des fruits et légumes baisse en 2024 » : www.latribune.fr
4 Communiqué du 20 novembre de la Confédération entrepreneuriale de Valence (CEV) : https://www.cev.es/prensa/las-primeras-estimaciones-cifran-en-mas-de-9-365-millones-las-perdidas-en-el-tejido-productivo-provocadas-por-la-dana/
5 Le Figaro, « Les prix en baisse des fraises inquiètent les producteurs français » : https://www.lefigaro.fr/conso/les-prix-en-baisse-des-fraises-inquietent-les-producteurs-francais-20240608
6 BEI et Commission Européenne, Financial needs in the agriculture and agri-food sectors in the European Union (2020)
7 BEI et Commission Européenne, Financial needs in the agriculture and agri-food sectors in the European Union (2020)
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